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Est-ce que ça se dit: « Tu parles bien français » ?


français personne immigrante

Photo de Nick Fewings sur Unsplash

 
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Est-ce que ça se dit « Tu parles bien français » ?

Qu’est-ce que ça signifie, parler un « bon français » ? Venant souvent de pair avec le fameux « tu as un accent, tu viens d’où ? », ces interactions peuvent donner à de nombreuses personnes l’impression d’être des étrangères et ce, peu importe le nombre d’années vécues au Québec.

« Nous vs. Eux » : le concept de « l’autre »

Il faut comprendre que l’humain a une tendance naturelle à voir le monde sous une lentille du « Nous vs. Eux ». Cette notion fait référence à la tendance à diviser le monde en catégories. On créer ainsi une distinction entre les personnes qui sont perçues comme faisant partie de notre groupe (« Nous ») et celles qui sont considérées comme extérieures ou différentes (« Eux »). Cette division peut être basée sur divers critères tels que l’origine ethnique, la nationalité, la religion, la langue, etc.

Prenons une phrase comme « Tu as un accent, tu viens d’où ? », qui est largement utilisée au Québec lorsqu’une personne souhaite engager une conversation légère. Dans un contexte de communication inclusive, cette question exclut le destinataire en le catégorisant comme membre d’un groupe extérieur. Ces mots suggèrent que l’individu est perçu comme étranger, il viendrait d’ailleurs, sinon on ne lui poserait pas la question. Avec cette phrase, on catégorise immédiatement la personne. Par le fait même, on décide de son identité qui ne pourrait pas être québécoise.

La hiérarchie des accents et la langue française

La hiérarchie de la langue se manifeste lorsque certaines façons de parler sont valorisées tandis que d’autres sont dévalorisées. Cela crée une échelle implicite où certains accents ou certaines langues sont considérés comme supérieurs. À l’inverse, d’autres sont perçus comme inférieurs.

Dans de nombreuses sociétés, les accents associés aux groupes socialement dominants ou aux régions économiquement puissantes sont souvent considérés comme « prestigieux » ou « corrects ». Les locuteurs natifs de ces accents sont alors perçus comme faisant partie intégrante de la norme linguistique. Par exemple, en France, cela réfère au français parisien. Au Québec, l’accent saguenéen, le chiac et la panoplie d’accents de diverses régions autres que ceux des grandes villes sont souvent perçus comme « inhabituels », voire moins « professionnels ».

En effet, les accents associés à des groupes minoritaires peuvent être stigmatisés. Les locuteurs de ces accents peuvent faire l’objet de préjugés négatifs, et leurs compétences linguistiques, voire professionnelles, peuvent être remises en question, créant ainsi une hiérarchie linguistique. Dans une étude Ifop (2020), 16 % des Français·es étaient victimes de discrimination à l’embauche à cause de leur accent. Un québécois de Matane avait d’ailleurs dû changer de carrière, car son accent était jugé trop problématique pour être reporter à la télévision française.

Les accents, c’est contextuel!

Il faut garder en tête que notre façon de percevoir les accents dépend de l’endroit où l’on se trouve. Par exemple, une Néo-Brunswickoise pourrait sembler avoir un accent aux oreilles des Québécois·es, alors qu’elle n’est pas considérée comme ayant un accent au Nouveau-Brunswick. Les accents sont des caméléons qui changent de couleur selon le décor où on les observe!

La hiérarchie des accents et de la langue contribue donc à renforcer les barrières linguistiques, en créant des divisions entre les locuteurs natifs et les non-natifs, entre les accents et dialectes considérés comme « corrects » et ceux jugés « incorrects ».

Quand les préjugés prennent le dessus

La surprise qu’une personne immigrante puisse s’exprimer dans un « bon français » fait  refléter des stéréotypes linguistiques ou des préjugés implicites bien ancrés dans notre société. En effet, cela reflète une attente sous-entendant que les personnes immigrantes ne sont pas censées maîtriser la langue du pays d’accueil et auraient naturellement des difficultés avec la langue. Pourtant, chaque individu est unique et ses compétences linguistiques ne devraient pas être automatiquement liées à son origine.

Rappelons-nous également que la langue française est parlée couramment dans de nombreux pays et communautés dans le monde. Par ailleurs, selon le Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’intégration, plus de 60% des personnes immigrants au Canada connaissent le français à leur admission. Pourquoi sommes-nous donc encore si surpris·es?

Au final, le fait d’avoir un accent ne signifie rien d’emblée. On peut être né·e au Québec, y avoir grandi, et pourtant ne pas avoir un accent québécois très prononcé, simplement parce que notre famille ne le possède pas. Est-ce que cela devrait alors remettre en question notre appartenance à l’identité québécoise ?

Existe-il des alternatives plus appropriées ?

En ce qui concerne les commentaires concernant les accents ou le niveau de langage d’une personne, la réponse est non. Bien que certains individus pourraient ne pas être dérangés ou offensés par ces commentaires, les chances sont hautes que ces derniers causent plus de mal que de bien et ce, malgré l’intention de départ.

Il arrive souvent d’entendre qu’on souhaite seulement « apprendre à connaître l’autre » en lui posant des questions sur sa personne et son parcours de vie, résultant souvent avec le fameux « tu viens d’où ? ». Cette question est souvent un moyen de montrer de l’intérêt pour l’autre et parfois même un compliment de la part de la personne qui la pose, mais il faut aussi comprendre la différence entre notre intention et comment cela peut être perçu. Même si elle est bien intentionnée, cette question peut être ressentie comme une microagression, surtout si elle devient une habitude réservée à certaines personnes en fonction de leur apparence ou de leur origine. Il est donc crucial de réaliser que ces échanges peuvent être perçus différemment selon la perspective de chacun·e.

Posez-vous cette question à toutes les personnes que vous rencontrez, incluant celles qui vous ressemblent ? En général, la réponse est non.

En conclusion

Il faut prendre en compte le contexte et la relation avec l’autre lorsqu’on pose des questions sur son parcours personnel. Par exemple, demander « tu viens d’où ? » peut être approprié entre ami·es proches ou dans des situations informelles où il y a déjà un niveau de confiance établi. Cependant, dans un cadre professionnel ou lors d’une première rencontre, cette question peut être perçue comme intrusive ou réductrice.

Si vous êtes curieux·euse du parcours de vie de la personne, vous pourriez lui demander à quel endroit ou dans quel domaine elle a étudié. Vous pourriez aussi lui demander quelles langues elle parle de manière générale. Ces questions sont valides pour n’importe quel individu, peu importe son origine ethnoculturelle ou sa langue maternelle. Elles permettront à la personne de vous en dire davantage sur son identité si elle le souhaite.

Savais-tu que? Selon une étude relayée par Le Devoir, en Ontario, une personne racisée avec un accent étranger est « punitif ». Or, au Québec, une personne noire qui parle mieux français qu’une personne blanche est vu comme « surprenant ».

Dans cette étude, on apprend que cette surprise crée un préjugé favorable. Une personne experte racisée avec un accent québécois obtient le score le plus haut en termes de crédibilité.

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