`

Est-ce que ça se dit: «T’as pas l’air autiste» ?


deux personnes autistes souriant

Photo de Hiki App sur Unsplash

 
Bienvenue à «Est-ce que ça se dit?», une chronique mensuelle où URelles répond aux questions liées au langage inclusif. Vous avez une question pour nous? Écrivez à info@urelles.com et nous vous répondrons. Le tout est anonyme. 

Lire les précédents articles:

Est-ce que ça se dit « mademoiselle » ?
Est-ce que ça se dit « tu parles bien français pour une personne immigrante » ?
Peut-on dire « groupe minoritaire » ?

*Personne neurotypique: Personne ayant un fonctionnement neurologique considéré dans la norme, et ne présentant pas une condition neurologique particulière.

****

Est-ce que ça se dit « T’as pas l’air autiste » ?

L’autisme est un spectre vaste et complexe qui englobe une diversité de traits et de caractéristiques. Bien que de plus en plus de personnes y soient sensibilisées, il subsiste encore des stéréotypes et des préjugés nuisibles. La fameuse phrase «T’as pas l’air autiste?», bien que peut-être formulée sans malice, voire un compliment, peut avoir de nombreux impacts insoupçonnés.

Le spectre de l’autisme

Dire qu’une personne à l’air autiste ou non, c’est supposer qu’il existe une seule manière « typique » de présenter l’autisme. Or, l’autisme est un spectre qui inclut une variété de profils, allant de personnes qui ont des difficultés sévères de communication et d’interaction sociale à celles qui peuvent sembler indiscernables des personnes neurotypiques*. Il est important de reconnaître que l’autisme se manifeste de différentes manières chez chaque individu.

Le spectre autistique n’est pas un spectre allant de « pas autiste » à « très autiste » avec « moyennement autiste » au milieu. Celui-ci illustre plutôt la diversité des caractéristiques autistiques. Il ne s’agit pas d’une échelle linéaire. Voyez plutôt une palette de couleurs où chaque individu autiste présente une combinaison unique de traits. Par exemple, une personne peut être particulièrement sensible au bruit tout en étant moins affectée par la lumière. À l’inverse, une autre personne pourrait réagir fortement à la lumière tout en étant moins sensible au bruit.

En résumé: il existe autant de formes d’autisme que de personnes autistes. 

La phrase « T’as pas l’air autiste ? » est souvent formulée sans malice et peut même être intentionnellement perçue comme un compliment par la personne qui la prononce. Cependant, cette remarque soulève des questions plus profondes sur la perception de l’autisme dans notre société. En effet, elle suggère implicitement que l’autisme est quelque chose de négatif, voire honteux, qu’il faut dissimuler. En réalité, l’autisme est une composante naturelle de la diversité humaine. Ces personnes apportent souvent des perspectives uniques et précieuses à la société.

Le camouflage ou « masking » chez les personnes autistes

Lorsqu’on dit à une personne qu’elle n’a pas « l’air autiste », on renforce l’idée qu’il y a une manière d’interagir « normale » et une autre « anormale », tant au niveau du langage verbal que non-verbal. Les personnes autistes se font souvent dire que leurs comportements ne sont pas acceptables. Beaucoup entendent depuis qu’elles sont toutes petites que leur façon de jouer, de bouger, de s’asseoir, de communiquer et même d’aimer ne sont pas les bonnes. 

Or, les comportements jugés « normaux » versus « anormaux » varient d’une personne à l’autre:

  • Maintenir un contact visuel prolongé lors d’une conversation est considéré « normal ». Une personne trouvant ce contact visuel inconfortable ou difficile à maintenir en raison de différences sensorielles ou de préférences individuelles sera jugée « anormale ».
  • De même, les expressions faciales peuvent varier énormément d’une personne à l’autre.  Ce qui peut sembler « limité » ou « inadapté » pour certaines personnes peut en fait être une forme de communication authentique pour d’autres. 

Certaines personnes autistes choisissent donc d’adopter des comportements de masquage ou de camouflage. Cela implique une suppression ou une dissimulation délibérée de leurs traits autistiques afin de se conformer aux normes sociales. Par exemple:

  • Une personne peut observer attentivement les comportements sociaux des autres. Par la suite, elle pourra imiter des expressions faciales, des gestes, ou même du langage corporel.
  • Également, elle pourrait supprimer ou minimiser des comportements stéréotypés, tels que des mouvements répétitifs ou des intérêts spécifiques, afin de ne pas attirer l’attention.
  • Le camouflage peut même aller jusqu’à masquer sa sensibilité aux stimuli sensoriels en développant des mécanismes pour les tolérer, même si cela peut être inconfortable. Par exemple, résister à l’envie de couvrir ses oreilles en réaction à un bruit fort.

Les commentaires se concentrant sur l’apparence extérieure d’une personne autiste risque donc de compromettre son individualité et de renforcer l’idée que l’apparence « normale » prévaut sur la compréhension et l’acceptation de la diversité des expériences neurodivergentes.

Une remarque qui impacte profondément

De tels commentaires tels que « Hein! T’as pas l’air autiste! » peuvent induire chez une personne autiste le sentiment qu’elle doit constamment justifier, voir cacher, son identité autiste, entraînant ainsi confusion et frustration. De même, ce camouflage peut être épuisant, stressant et entraîner des répercussions sur leur bien-être, leur estime de soi et leurs relations, les privant d’opportunités d’améliorer leur qualité de vie en établissant des connexions significatives avec d’autres personnes.

En effet, le camouflage demande énormément d’énergie et peut aussi faire en sorte que les personnes autistes évitent d’utiliser des outils essentiels à leur confort (ex. porter des lunettes de soleil à l’intérieur dû  à une sensibilité à la lumière). Cela à des conséquences physiques puisque l’inconfort est bien réel. L’énergie supplémentaire dépensée et l’absence d’outils risquent de mener la personne au bout de ses capacités.

Toutes les personnes autistes ont besoin de soutien, mais il est difficile de « prouver » que l’on a besoin d’aide si l’on arrive à faire semblant d’être capable sans soutien. Il est donc commun que des personnes autistes se fassent refuser du soutien essentiel à leur bien-être. Camoufler peut même retarder le diagnostic. Il devient alors quasi impossible de recevoir le support nécessaire pour les activités de la vie quotidienne, la réussite scolaire ou l’accès à l’emploi.

Il arrive même que les personnes autistes qui camouflent se fassent dire qu’elles mentent ou qu’elles utilisent des ressources qui ne leur sont pas destinées.

En conclusion, dire à une personne qu’elle n’a pas l’air autiste est tout sauf un compliment. Cela minimise l’expérience de l’autisme et les individus qui ont développé des stratégies de camouflage peuvent se sentir incompris ou invisibilisés. Cette remarque perpétue également le stéréotype selon lequel il existe un aspect «typique» ou «normal» de l’autisme, ce qui ne reflète pas la réalité du spectre.

Poster un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.