Comment l’équité, la diversité et l’inclusion et l’antiracisme ont façonné le parcours de Chloé Saintesprit?
Crédit photo : Cossette
Les portraits URelles mettent de l’avant des actrices et acteurs de changement évoluant en équité, diversité et inclusion (EDI). Ces portraits se veulent porteurs d’idées et d’inspirations pour les PME qui souhaitent en apprendre plus sur l’EDI!
Chloé Saintesprit est une professionnelle en équité, diversité et inclusion (EDI) qui œuvre officiellement dans ce secteur depuis cinq ans. Depuis 2022, elle est actuellement gestionnaire régionale séniore en EDI chez Plus Company. Passionnée par le sujet, elle a accepté de nous partager son histoire, sa vision, et des conseils pour les organisations. Découvrez son portrait!
URelles : Parle-nous de ton parcours et comment as-tu été attirée par l’EDI?
Chloé Saintesprit : Née en France d’une mère afrodescendante d’origine camerounaise naturalisée française, et d’un père caucasien français, je me retrouve à l’intersection de deux communautés, la particularité du métissage. Également neurodivergente, issue de l’immigration (première génération), née francophone, de genre non binaire et mère monoparentale, mon identité & mon expérience de vie m’ont naturellement attirée vers l’EDI. En fait, je voulais comprendre pourquoi je ne rentrais dans aucune case de la société.
Mes prises de conscience vis-à-vis de l’EDI et de l’antiracisme ont toujours été présentes – dans le sens – bien avant que la pratique de l’EDI existe soit depuis l’âge de mes 10 ans. Elles se sont réellement accélérées dès mon entrée dans la vie professionnelle. J’ai travaillé pour une grande agence de marketing à Paris et, lorsque nous recevions des offres de nos client·e·s pour des tests produits, il était clairement annoncé dans la recherche de profils : «Pas de noms à consonance maghrébine, pas de noir·e·s». Nous étions en 2007 et le choc était frontal! Je travaillais dans une industrie qui ne m’acceptait pas. Mais je prenais en même temps conscience de mes propres privilèges.
Durant ma vingtaine en France, j’ai notamment travaillé dans de grandes entreprises dans lesquelles les personnes appartenant au groupe dominant (homme blanc, aisé, éduqué) étaient majoritaires dans les postes de direction. Jeune diplômée en gestion, administration et communication, motivée et pleine d’espoir… l’arrivée sur le marché du travail fut un choc électrique! Je n’avais pas de modèles de références et, en plus, il m’arrivait de recevoir des commentaires sexistes et racistes sur mon lieu de travail : «Souris, tu es tellement plus jolie», lorsque des clients de genre masculin me demandaient d’apporter le café alors que je venais faire une présentation aux membres de comité d’entreprise, des remarques déplaisantes en lien avec mon physique (l’hypersexualisation de la femme noire) ou encore lorsque des collègues me demandaient instinctivement le fameux : «D’où viens-tu?» …et j’en passe!
Mon cheminement académique en EDI s’est étonnamment déclenché durant mon baccalauréat en danse à l’UQAM entre 2016 et 2019. Je faisais beaucoup de recherches pour comprendre pourquoi mon corps ne correspondait pas aux critères esthétiques des danses enseignées dans mon programme. Le résultat de cette réflexion de trois ans fut cet article pour le Regroupement québécois de la danse «Enjeux de morphologie dans l’inclusion des afrodescendant.e.s dans les institutions scolaires en danse».
Quant à mon parcours à HEC Montréal durant mon DESS en gestion et mes implications étudiantes comme VP Communication du Comité Diversité ou encore comme cofondatrice du Comité de l’Histoire des Noir·e·s (2020) et coprésidente en 2022, m’ont notamment confirmé que je souhaitais pousser mes connaissances et expériences dans ce domaine.
Bref, l’EDI et l’antiracisme ne m’ont pas intéressée, mais ont fait et font encore partie de mon parcours de vie. Disons que cette évolution de parcours en EDI est une suite logique d’événements et a tout son sens! Mon parcours résonne d’autant plus dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et selon les projections pour les minorités visibles.
En 2036, 40% de la population canadienne serait issue des minorités visibles d’après Statistique Canada. Les autres communautés sous-représentées (les personnes appartenant aux communautés autochtones, LGBTQIA2+, les personnes avec un handicap visible et invisible…) doivent également être considérées dans la vision des entreprises. Par exemple, il serait temps d’élargir nos oeillères dès le début : s’attarder sur des CV différents dès les premières étapes du cycle de l’employé·e, d’élargir nos bassins de recrutement hors des schémas habituels et commencer à développer une pensée de «culture add» au lieu de penser uniquement à un «culture fit» pour pallier à ces enjeux et rester compétitif·ve·s.
URelles : Tu as également de l’expérience en communication, administration et gestion, comment fais-tu coexister ces domaines avec l’EDI dans ton quotidien?
Chloé Saintesprit : Je dirais que l’EDI est une pratique 360. L’idée est de faire un croisement avec tous les départements des entreprises incluant tous les niveaux de la hiérarchie. Le fait de comprendre les différentes unités qui composent une entreprise (privée ou publique) et les différents rôles permettent d’avoir une vision 360 pour mieux implanter des pratiques EDI et antiracistes S.M.A.R.T (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réalisable et Temporel).
Pour la communication, qui est un outil extrêmement important notamment pour l’EDI, on peut penser à l’impact de l’écriture inclusive à l’interne mais aussi à l’externe de l’entreprise (marque employeur). Ou encore la communication bienveillante voire l’utilisation des concepts adéquats pour s’adresser aux personnes issues des communautés sous-représentées.
Pour l’aspect communication-marketing, je dépose ici une information intéressante pour les entreprises qui oeuvrent majoritairement en publicité mais qui peut résonner dans d’autres secteurs : «Toutes les études, dont celle de Deloitte, démontrent que la valeur boursière des entreprises qui ont de la diversité dans leur marketing et dans leurs campagnes publicitaires est supérieure de 44% par rapport à celles qui sont sous la moyenne». (Radio-Canada, 2021). Il y a donc une corrélation très forte entre la préférence pour une marque et son indice de diversité. Cela signifie que plus la marque représente la société telle qu’elle est, plus les gens vont vouloir l’acheter. Ça fait réfléchir non?
Pour le management, je pourrais faire un lien étroit avec le leadership inclusif. Avec la mondialisation des marchés, de quelle manière développer les compétences et les qualités d’un·e leader inclusif·ve? Comment éviter les biais inconscients dans une équipe interculturelle afin de fédérer une équipe pour atteindre un objectif commun? Quel est l’impact du leadership inclusif sur l’environnement de travail et, par ailleurs, sur la rétention des employé·e·s (sentiment d’appartenance)?
Pour la gestion, quels seraient les indicateurs de performance pertinents (qualitatifs ou quantitatifs) en EDI en fonction de la prise de conscience de l’entreprise, des objectifs définis par la direction et avec le pouls des employé·e·s. L’EDI est un «journey» qui nécessite l’avis de tous·tes les collaborateurs et collaboratrices afin d’avoir un diagnostic réel de l’entreprise.
URelles : En tant que femme noire qui œuvre en EDI, tu te retrouves dans une intersectionnalité dont les enjeux concernent directement certaines décisions en EDI. Cela a-t-il un impact dans ton rôle de gestionnaire EDI?
Chloé Saintesprit : C’est une excellente question ! Comment faire preuve d’impartialité dans mon rôle en étant une personne des minorités visibles? Mais surtout, comment protéger également ma santé mentale en tant que personne qui se trouve à l’intersection de plusieurs marqueurs d’identités (Kimberle Crenshaw). Et qui, de plus, œuvre dans une pratique indispensable, mais parfois encore souvent bien incomprise, car récente? Les mots «développement durable» ou encore «ESG» résonnent plus, mais l’EDI a encore un peu de chemin à faire malgré le fait que l’EDI est étroitement liée au développement durable et à l’ESG.
Mais rappelons-nous que «L’EDI est un impératif, pas une cause» (Cossette). En effet, d’après le rapport de Forbes, «85% des entreprises conviennent que la diversité débouche sur des idées plus innovantes» et «Les entreprises diverses sont 35% plus susceptibles de surpasser les autres» (McKinsey & Company, 2020). La diversité est une richesse et il y a une importance à inclure ces personnes issues de ces communautés sous-représentées dans nos entreprises.
Pour répondre à la question, je dirais qu’à chaque problématique, je me demande qui seront les bénéficiaires direct·e·s et indirect·e·s de ces mesures. Pour ma part, je suis une friande des données. Celles-ci aident à avoir une vision claire des actions à entreprendre. Par exemple, pour le Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) recommande l’utilisation de questionnaires d’auto-identification. Même si ces questionnaires ne sont pas obligatoires, ils donnent une idée approximative sur l’angle à aborder lorsqu’accompagnés d’un plan de communication efficace. J’aime réfléchir à trouver des solutions, mais j’adore le passage à l’action aussi! L’EDI et l’antiracisme c’est un peu cela : soulever une problématique et passer à l’action pour effectuer des changements à court, moyen et long termes!
«Êtes-vous prêt·e·s à sortir de votre zone de confort? Êtes-vous prêt·e·s à écouter les personnes des groupes sous-représentés? Et êtes-vous prêt·e·s à prendre des risques et à poursuivre vos réflexions» – Chloé Saintesprit
URelles : Quelles recommandations ferais-tu à une entreprise qui souhaite mettre de l’avant ses employé·e·s issu·e·s de la communauté noire lors du mois de l’histoire des Noir·e·s?
Chloé Saintesprit : Selon moi, il y a plusieurs bémols avec le mois de l’Histoire des Noir·e·s. Tout d’abord, malgré le fait que l’association destinée à la recherche sur l’histoire des Afro-Américain·e·s (L’ASALH) ait lancé l’initiative la Negro History Week la deuxième semaine de février 1926 (New York Times, 2021); le mois de février reste le mois le plus court et le plus froid de l’année; même si, la Negro History Week sera allongée par la suite .
Ensuite, dans le subconscient de plusieurs de Canadiens et Canadiennes, on destine uniquement ce mois aux communautés noires. Mais, comme l’a mentionné Jean Augustine, la première femme noire à être élue à la Chambre des communes du Canada et la première femme noire à faire partie du cabinet fédéral en 1993: « Black History is not just for Black People – Black History is Canadian history ». Cela sous-entend que tous et toutes soulignent cette reconnaissance de l’apport des communautés noires dans l’histoire canadienne, notamment par les personnes appartenant au groupe dominant. Elles se positionneront ainsi comme alliées.
J’aurais donc plutôt des questions pour les entreprises qui aimeraient faire rayonner leurs employé·e·s afrodescendant·e·s (et pourquoi pas leurs collaborateur·trice·s externes?) : est-ce vraiment pertinent et est-ce que cela répond à une vision long terme de mettre ces employé·e·s sous le spotlight une fois pendant le mois? Qu’en est-il des autres jours de l’année?
Si un événement est organisé à l’interne, est-ce que ce seront les employé·e·s noir·e·s qui devront s’occuper de la logistique? Quel serait le rôle des allié·e·s et des sponsors dans ces activités? Quels programmes pourraient être mis en place toute l’année en place pour soutenir réellement les employé·e·s noir·e·s et non pas une seule fois par mois? Est-ce qu’un budget ou des accommodements d’horaires ont été réfléchis dans la planification annuelle pour permettre ces activations ou projets?
URelles : Une de tes visions sur le long terme est d’encourager les femmes issues de la diversité à occuper des postes de gouvernance, comment t’y prends-tu?
Chloé Saintesprit : Étant moi-même sur différents conseils d’administration (CA) dans le secteur culturel, j’encourage et j’accompagne des femmes issues de la diversité à poser leurs candidatures pour siéger sur des CA ou à postuler à des postes de direction (postes qu’elles n’auraient jamais envisagées, car le syndrome de l’imposteur·trice ou encore le plafond de verre, voire le plancher collant les empêchent de se projeter dans ces rôles). Mais aussi, je les invite à faire des formations ou à reprendre leurs études si elles se sentent dans le besoin de développer de nouvelles compétences.
C’est pourquoi, en 2022, j’ai décidé de créer une bourse pour les mères monoparentales issues de la diversité qui souhaitent étudier au deuxième cycle à HEC Montréal. Je pense que le leadership au féminin est multidimensionnel et surtout peut se réaliser via le partage et l’entraide. Et enfin, j’accompagne des jeunes femmes issues des minorités visibles de la relève dans la réalisation de leurs rêves.
Mais comme on dit «l’union fait la force» alors je n’hésite pas non plus moi-même à participer à des programmes ou des cohortes telles que le Groupe des Trente de CMTL, la première cohorte Génération d’Impact de la Jeune chambre de commerce de Montréal ou encore à des formations comme Cité ELLES Montréal. Cela me permet aussi de rencontrer d’autres femmes issues de la diversité qui ont les mêmes intérêts et qui souhaitent aussi développer un réseau de femmes extraordinaires qui souhaitent changer le monde! Je dirais que la collaboration transversale est le mot-clé.
URelles : Quelles suggestions ferais-tu aux organisations pour inclure davantage de personnes issues de la diversité dans les rôles décisionnels?
Chloé Saintesprit : J’en aurais tellement! Mais j’aurais avant tout des questions. Ma première : est-ce que votre équipe de leadership est majoritairement composée d’hommes blancs? Si oui et que les personnes le reconnaissent, «It’s a start!».
Ensuite, voici quelques questions qui sont selon moi pertinentes de poser : quelle est la taille de l’entreprise? Est-ce que l’EDI et les pratiques antiracistes font partie de la vision de l’entreprise? Combien de femmes occupent des postes de direction? Combien de personnes issues de la diversité occupent ces mêmes postes? Est-ce que vous avez un processus d’équité salariale? Est-ce que les leaders ont eu des formations en EDI et en antiracisme?
Qu’est-ce qui a été mis en place jusqu’à aujourd’hui pour permettre à des personnes issues de la diversité d’avoir des promotions? Est-ce que ces processus de promotions sont sains (évitent le tokénisme)? Quels sont les bassins de recrutement actuels? Est-ce que les équipes de recrutement sont majoritairement blanches? Si oui, ont-elles reçu des formations sur les biais inconscients? Tout comme les gestionnaires qui participent au processus de recrutement? Mais surtout, est-ce que l’environnement de travail est assez sécuritaire et propice pour que des personnes issues de la diversité puissent occuper des postes de direction, s’y développer et y rester?
Pour résumer, je suggérerai de faire un diagnostic sur la diversité, mais aussi sur les processus d’inclusion et le sentiment d’appartenance auprès des employé·e·s. Le sondage est votre meilleur ami!
URelles : Selon toi, quelle première action EDI devrait entreprendre une organisation?
Chloé Saintesprit : Dépendamment de la taille de l’entreprise, de la structure et d’autres facteurs tels que le domaine et de l’avancée en EDI, je dirai que la première étape serait de sonder le pouls des employé·e·s de manière anonyme sur l’équité, la diversité, l’inclusion mais aussi le sentiment d’appartenance (Belonging). Les réponses du sondage ou de la tournée d’écoute, dépendamment du budget, donneront un angle à prendre pour l’organisation. Cette étape permettra ainsi d’intégrer l’EDI au sein même de son ADN et prendre des actions concrètes et adéquates.
URelles : Tu t’es impliquée dans divers organismes tout au long de ta carrière si tu avais trois conseils clés en EDI à partager à des organisations, quels seraient-ils?
Chloé Saintesprit : Les conseils clés seraient plutôt trois questions: êtes-vous prêt·e·s à sortir de votre zone de confort? Êtes-vous prêt·e·s à écouter les personnes des groupes sous-représentés? Et êtes-vous prêt·e·s à prendre des risques et à poursuivre vos réflexions?
La bonne nouvelle est que si la réponse à ces trois questions est positive, vous êtes prêt·e·s à passer à l’action!
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