Est-ce que le développement web est sexiste?
En septembre 2017, trois ex-employées de Google ont attaqué l’entreprise en justice pour discrimination salariale basée sur le genre. L’une d’entre elles déclarait ceci: «Google rémunère les ingénieurs back-end plus que ceux du front-end et leur donne accès plus facilement à des promotions. Parmi les équipes observées chez Google, presque tous les ingénieurs back-end sont des hommes. Presque tous les ingénieurs front-end sont des femmes.»
Je connais effectivement plus de femmes développeuses front-end que d’hommes, ce qui m’a donné envie de m’intéresser à cette distinction et surtout à ses répercussions, car qui dit «dominants» dans un domaine, dit également «dominés».
D’abord, quelques explications sur la façon dont un site web est construit.
Lorsqu’on en développe un, deux types de développeurs.ses sont impliqué.es: les front-end et les back-end. Les front-end s’occupent des éléments qu’ont voit lorsqu’on navigue: la couleur, la police, les animations à l’ouverture d’un lien, etc. Les back-end s’occupent de la partie non visible: la gestion de la base de données d’une infolettre, l’hébergement du site, la création du CMS, etc.
Aux débuts du web, il n’y avait pas de distinction entre les back-end et les front-end. Les développeurs.ses faisaient les deux. Nous sommes en 2018, le métier s’est professionnalisé et spécialisé, et la distinction existe. Il y a les front-end d’un côté et les back-end de l’autre.
Avec cette séparation est arrivée une distinction dans la perception de ces métiers au sein de la communauté des programmeurs.
Attention, gros clichés à l’horizon…
Les back-end sont perçus comme les vrais développeurs, ceux qui se salissent les mains parce qu’ils font le sale travail. Ils mettent les mains sous le capot, ils s’arrachent les cheveux sur de vrais problèmes complexes qui sont essentiels. Sans eux, un site web ne pourrait pas voir le jour.
Tandis que les front-end ne seraient pas vraiment des développeurs. Eux, ils s’occupent juste de rendre les choses jolies. Ils ne s’arrachent jamais les cheveux, car leur job ne serait pas tant compliqué. Ce sont juste des utilisateurs de Photoshop avancés.
Cette vision différente des métiers n’est que la continuité du mécanisme qui a sorti les femmes de l’informatique dans les années 1980. Pour rappel, les femmes étaient très présentes dans le développement de logiciels et les hommes, dans le développement des ordinateurs. Mais il est arrivé un moment où le potentiel des logiciels est devenu énorme et «cool», et c’est là où les hommes sont arrivés en force. sortant les femmes du domaine.
Revenons à notre époque, où les hommes se sont à nouveau appropriés quelque chose qui semble «cool», c’est-à-dire le back-end, laissant le front-end aux femmes.
Dans un article de The Guardian, Miriam Posner rappelle que les back-end sont vus comme des génies à la Steve Wozniak, profondément brillants, plutôt associaux et souvent incompris, dans la pure tradition des martyres de l’histoire de l’informatique dont on aime se rappeler.
Et évidemment, comment sont vu.es les front-end? Eh bien, c’est tout le contraire et tout autant fait de clichés. Les développeurs back-end attribuent souvent l’expertise front-end non pas à la maîtrise de la technique mais au ressenti, à une sorte de magie, à de la douceur… des choses floues auxquelles les femmes sont censées exceller. Je tiens à préciser que ce n’est évidemment pas vrai. Si vous avez déjà touché à de la programmation, vous savez qu’il s’agit souvent de mathématiques, de logique et d’avoir un esprit structuré.
La conséquence étant que, s’il y a des femmes en informatique, on s’imagine alors, comme une évidence, qu’elles seront des développeuses front-end. Melissa McEwen raconte que «lors d’événements techno, les gens supposent souvent que je suis front-end. Je suis sûre que ce n’est pas à cause de la façon dont je m’habille. Je suis presque certaine que c’est parce que je suis une femme.»
Pourquoi est-ce un problème que les femmes soient front-end et les hommes, back-end?
Le point le plus important est que les jobs de back-end sont mieux payés que les front-end. Le salaire médian pour un front-end est 68 000$ alors qu’un back-end tourne autour de 72 000$.
Le problème de cantonner les femmes aux emplois de front-end, c’est qu’on garde celles-ci dans le même cercle où elles sont déjà, ne leur donnant pas l’occasion d’en sortir et donc ne leur donnant pas accès à des salaires plus élevés.
<ironie>On leur rend la vie vraiment facile!</ironie>
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