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Neurodiversité: comment réduire la charge mentale

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La neurodiversité est une chance pour les entreprises. Une pensée différente bouscule les normes et mène à de nouvelles solutions. Mais pour que la diversité puisse fleurir, il faut un bon terreau. En l’absence d’aide et de mesures d’inclusion claires, beaucoup de personnes neuroatypiques se verront obligées de camoufler leurs traits pour conserver leur poste, au prix d’une charge cognitive accrue, d’une sous-exploitation de leur potentiel et au risque de s’épuiser. La meilleure façon de remédier à une situation problématique, c’est d’en comprendre l’origine. Retour sur la charge cognitive, le camouflage social et le moyen de les alléger.

Qu’est-ce que la neurodiversité?
La neurodiversité désigne la multiplicité des structures neurologiques humaines. Être neuroatypique, c’est posséder un fonctionnement cognitif différent de ce qui est considéré comme la norme. Le terme, bien que historiquement associé à l’autisme, regroupe plusieurs autres diagnostics, dont le TDAH, la douance, le syndrome de la Tourette et les troubles dys (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, etc.).

Selon le Dr. Tarek Kassem, fondateur de l’Académie de la Neurodiversité, 10% à 15% de la population présente une forme de neurodiversité, ce qui est loin d’être négligeable. Les personnes neuroatypiques possèdent un potentiel très riche mais, de par leur différence, se trouvent quotidiennement confrontées à une multitude de défis d’adaptation.

Les personnes autistes, par exemple, ont souvent de la difficulté à comprendre certaines normes sociales. Leur taux d’emploi est très bas, car indépendamment de leurs compétences et de leur motivation, beaucoup d’entre elles ne maîtrisent pas nécessairement les codes implicites d’une entrevue de job ou d’un environnement de travail.

Le camouflage social comme stratégie d’adaptation
Pour remédier à l’isolement et à la discrimination, certaines personnes utilisent le camouflage social, qui est une stratégie de survie reposant sur le masquage et la compensation de sa différence. Masquer signifie supprimer certains traits saillants considérés “non acceptables” (tels que les mouvements répétitifs ou les hypersensibilités), tandis que compenser consiste à apprendre et imiter des codes et normes extérieures (apprendre à regarder dans les yeux, à donner des poignées de main) qui ne sont pas instinctives pour la personne.

Selon une étude de 2017, qui se penche sur ce phénomène, cette stratégie offre des avantages en permettant notamment un meilleur accès à l’emploi, mais possède aussi des inconvénients, dont le coût se paye en santé mentale à court et long terme. Si la personne neuroatypique n’a pas un camouflage optimal, cela entraîne des difficultés d’intégration et expose les personnes à de la discrimination; tandis que si le n camouflage est trop réussi, cela cause fatigue, stress, anxiété, mauvaise estime de soi, perte de l’identité et mène à une faible reconnaissance de ses enjeux par la société ainsi qu’à un éventuel retard de diagnostic.

Le burn-out autistique
Pour une personne neuroatypique, atteindre les codes de la “normalité” demande un investissement émotionnel et cognitif invisible, qui s’apparente à de la charge mentale. Il peut en effet être tentant de croire que si une personne autiste “n’a pas l’air autiste”, c’est que son intégration est réussie et que “tout va bien”. Pourtant, peut-être est-ce précisément car elle fournit des efforts constants de camouflage que l’on ne remarque pas sa différence. Les personnes se retrouvent ainsi prises au piège de leur propre façade, leur capacité à “passer” incitant les observateurs à minimiser leur défis, ce qui, en retour, érode leur confiance en elles-mêmes. Ainsi, paradoxalement, les personnes autistes possédant de plus grandes capacités langagières, qui semblent les plus intégrées et les plus indépendantes, peuvent aussi être davantage sujettes à la dépression et à l’anxiété que les personnes autistes jugées moins “fonctionnelles”. Selon Saxe (2017), la problématique est particulièrement présente chez les femmes autistes. En effet, l’étude de l’autisme a longtemps reposé sur l’observation d’hommes, et si ses caractéristiques essentielles sont similaires d’un genre à l’autre, ses manifestations extérieures peuvent varier, ce qui fait que les particularités des femmes autistes sont moins connues. Par exemple, les femmes sont plus susceptibles d’éprouver des difficultés internalisées (comme l’anxiété ou la dépression) – là où les hommes éprouvent des difficultés davantage externalisées (troubles du comportement) – et donc de passer inaperçues. En outre, il est socialement attendu des femmes qu’elles fassent preuve d’une plus grande intelligence émotionnelle et d’une plus grande sociabilité, ce qui peut les inciter très jeunes à masquer. Les femmes autistes se trouvent face à une double exigence de camouflage, ce qui rend leur diagnostic encore plus difficile à établir.

Le camouflage sans reconnaissance, combiné à d’autres facteurs, peut mener à l’épuisement, soit ce que l’on appelle le burn-out autistique, lorsque les demandes d’adaptation dépassent les capacités de la personne et qu’aucun soutien n’est disponible.

Laisser une personne neuroatypique s’enfermer dans son camouflage, c’est prendre le risque de la voir s’épuiser, mais aussi de perdre son potentiel unique.

Josée Durocher, autrice et créatrice du blog Mot d’Autiste, nous parle de son expérience. Diagnostiquée autiste sur le tard, à 49 ans, après des années passées à camoufler son sentiment d’inadéquation, elle se souvient d’un emploi en particulier qui ressemble à un gâchis de potentiel. Elle a facilement su intégrer et appliquer les protocoles de son entreprise, mais elle ne comprenait pas l’utilité profonde de son poste et les interactions avec ses collègues généraient des incompréhensions, voire des frustrations. Malgré sa bonne performance, elle masquait énormément pour s’intégrer dans un environnement aux normes et à la hiérarchie rigides. Ses résultats lui ont valu une augmentation, mais aussi une dépression qui l’a menée à la démission.

Il est donc important d’être proactif dans l’intégration des personnes neuroatypiques, pour leur bien-être, mais aussi pour celui de l’entreprise, qui pourra alors bénéficier pleinement des talents et atouts de ses employés… sans risque de les voir partir en burn-out.

Non, embaucher des personnes neurodiverses ne coûte pas plus cher à l’entreprise
Mathieu Giroux, expert en autisme et conférencier avec qui nous nous sommes entretenue, souligne trois conséquences importantes du camouflage : l’impact sur la santé mentale des personnes, le biais dans les évaluations des employeurs, et l’invisibilisation des difficultés vécues, masquées par une couverture de “normalité”.

Diagnostiqué autiste lui-même, il connaît bien le camouflage et les malentendus quotidiens qui peuvent survenir entre une personne neurotatypique et son environnement. Pour lui, la communication est une affaire d’empathie et d’effort collectif, de la part de tous.

Adapter l’environnement de travail n’a pas besoin d’être complexe ou coûteux. Une recherche du partenariat pour le soutien en emploi démonte les préjugés les plus communs sur l’embauche de personnes autistes. Ainsi, il ne coûte pas plus cher d’employer des personnes autistes et elles sont tout aussi engagées, sérieuses et efficientes que des personnes neurotypiques. L’important est de pouvoir répartir la charge d’adaptation à l’autre de façon équilibrée entre les différents acteurs.

Comment adapter l’environnement de travail aux personnes neuroatypiques
Au-delà des enjeux spécifiques associés à la neurodiversité, le camouflage social repose sur une dynamique d’ajustement généralisable à toute situation incluant une divergence de codes. Au quotidien, nous analysons notre milieu et nos interlocuteurs, et nous modifions notre façon de communiquer. Il s’agit d’un processus normal, qui ne devient dommageable que lorsqu’un groupe minoritaire se voit contraint d’y recourir pour ne pas subir de discrimination, ou que le devoir d’adaptation d’un parti à un autre est exigé à sens unique.

Comprendre et adresser cette dynamique pour alléger la charge de celles et ceux qui la subissent le plus, c’est donc créer un environnement propice à la diversité sous toutes ses formes, et favorable à l’épanouissement de chacun.

Pour terminer, voici quelques conseils pratiques pour favoriser l’inclusion des personnes neuroatypiques et fluidifier la communication entre tous.

  1. Comprendre le mécanisme de camouflage et d’adaptation. Cela permet d’éviter de considérer comme normaux ou évidents des actes qui demandent peut-être beaucoup d’efforts à certain.e.s.
  2. Ne pas assumer l’intention de l’autre et être ouvert aux différences. Si une personne neuroatypique communique d’une façon qui semble étrange ou évite certaines interactions, ce n’est pas parce qu’elle cherche à être impolie, mais probablement parce que l’interaction lui pose de la difficulté, qu’elle n’en connaît pas les règles implicites ou qu’elle est épuisée par d’autres tâches. Chacun communique à sa manière, et face à cette problématique courante, une attitude bienveillante permet d’éviter beaucoup de malentendus.
  3. Comprendre les besoins personnels de chaque employé. Il n’existe pas deux personnes neuroatypiques semblables. Prendre le temps de discuter avec chacun pour bien cerner ses enjeux et ses besoins crée une ambiance de confiance, en plus de permettre d’assurer le meilleur fit possible avec l’entreprise.
  4. Assigner un mentor ou une pair.e aidant.e. Lorsque possible, on peut mettre en place un système de mentorat pour les personnes neuroatypiques qui le désirent. Elles pourraient ainsi se tourner vers une personne qualifiée de l’entreprise pour faciliter leur inclusion et les aider en cas de problème ou de malentendus.
  5. Ne pas imposer à tous une politique rigide. Comme souligné dans cet article précédemment publié par URelles, la flexibilité est importante pour les personnes neuroatypiques. Flexibilité des horaires, mais aussi flexibilité dans la culture et les codes de l’entreprise, qui laisse les différences s’exprimer au lieu des les étouffer. Par exemple, éviter de rendre obligatoires des événements sociaux standards, mais proposer des alternatives pour permettre aux gens de socialiser à leur rythme.
  6. Rendre les règles importantes claires. S’il y a des codes ou des pratiques indispensables au fonctionnement de l’entreprise, à sa culture ou à son image, il convient de les marquer comme tels. Cela permet aux personnes neuroatypiques de concentrer leurs efforts sur ce qui compte vraiment; sans oublier que cela peut être l’occasion de prendre un recul critique sur la culture de l’entreprise en s’interrogeant sur ses codes et ses valeurs essentielles. En somme, faire le tri pour ne garder que le meilleur !
  7. Laisser le choix aux personnes neuroatypiques de révéler ou non leur différence. Tout le monde n’a pas nécessairement envie d’être affiché.e, d’autant que cela peut entraîner parfois une curiosité qui, si elle est souvent sans malice, n’en est pas moins potentiellement épuisante. Les personnes neuroatypiques n’ont pas toujours envie d’expliquer le détail de leur différence, et il faut leur laisser cet espace.
  8. Adopter une politique claire en faveur de la diversité et du partage de la charge d’adaptation. Si la direction prend position ouvertement en faveur de valeurs inclusives, les employés seront plus enclins à adopter ces mêmes valeurs et cela pourrait également attirer de nouveaux talents les partageant.
  9. Sensibiliser l’ensemble des employé.e.s. Pour éviter les malentendus entre collègues ou les micro-agressions involontaires, il est important de faire circuler l’information sur la neurodiversité et les enjeux spécifiques que peuvent vivre certains employé.e.s. Les personnes neuroatypiques peuvent expliquer leur différence si elles le souhaitent, mais cela ne devrait pas être attendu ni exigé d’elles. Un travail d’information de fond devrait idéalement être soutenu par l’entreprise, avec la collaboration des personnes concernées.

Le camouflage est une stratégie de survie utilisée par les personnes neuroatypiques pour se fondre dans leur environnement et éviter les discriminations liées à leur neurodiversité. À long-terme, cette stratégie peut avoir des effets nocifs sur leur santé mentale. Bien souvent, les difficultés vécues par ces personnes sont dues à des différences de normes et de codes, et non à des défaillances inéluctables. Il s’agit donc de prendre conscience de cette dynamique et de l’alléger par une une politique d’ouverture et de flexibilité. Il est important que la direction s’implique activement pour créer un espace inclusif – on ne peut engager une personne atypique et s’attendre à ce qu’elle réprime sa différence, ou à ce qu’elle sensibilise elle-même son environnement. De telles mesures auront aussi des répercussions sur les autres employés, puisque l’adaptation à l’environnement est un processus qui peut concerner tout le monde et que le camouflage est également un enjeu pour d’autres minorités. Offrir un espace où chacun est plus libre d’être lui-même favorise l’expression de tous. Ainsi, être proactif pour assurer le bien-être des employés issus de la diversité contribue à créer un climat général d’inclusion utile à tous.

3 Comments
  • Marylene Ouellet

    11 février 2021 at 0 h 16 min Répondre

    Quelle lecture intéressante Iris! Merci de ta contribution et bonne poursuite!

  • Anonyme

    18 février 2021 at 20 h 45 min Répondre

    Réflexion importante Mme Martinez, merci de l’emmener car cette forme de diversité est trop souvent négligée.

  • Marine G

    30 août 2023 at 18 h 34 min Répondre

    Madame, Monsieur,

    Bonsoir,

    Je suis neuroatypique et je viens de tomber sur cet article. Il est très intéréssant et on y apprends plein de choses sur les personnes neurotypiques (« la norme ») et les personnes neuroatypiques.

    Bien cordialement,

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