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Est-ce que ça se dit: « T’es donc bien bipolaire aujourd’hui » ?


Ballons gonflables souriants et tristes, imageant la santé mentale

Photo de Madison Oren sur Unsplash 

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Est-ce que ça se dit « T’es donc bien bipolaire aujourd’hui » ?

Qui n’a jamais dit ou entendu des phrases telles que « J’ai un TOC du ménage », « T’es dont ben bipolaire aujourd’hui! » ou « C’est un pervers narcissique! ». Il est indéniable que, plus la discussion sur la santé mentale se détabouise, plus l’utilisation de termes associés à des diagnostics est devenue monnaie courante, souvent dits de façon légère et banale. Des expressions telles que celles-ci sont souvent utilisées dans des contextes informels, parfois même pour décrire des comportements qui n’ont rien à voir avec les diagnostics cliniques correspondants. Est-ce toujours une bonne chose? Examinons ce phénomène plus en détail. 

Évolution de la santé mentale: de la prise de conscience à la banalisation

Le développement des connaissances des diagnostics de santé mentale joue un rôle très important dans l’évolution de notre langage courant. En effet, il fut un temps où ces termes n’étaient pas utilisés, simplement parce que la plupart des gens n’en avaient pas connaissance. Les troubles comme la bipolarité, le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) ou le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) étaient largement méconnus du grand public, et par conséquent, leur utilisation dans le langage quotidien était quasiment inexistante.

Cependant, depuis la dernière décennie, les discussions sur la santé mentale gagnent en visibilité et en importance et une meilleure compréhension de différents diagnostics se développe au sein de la société. On peut penser à la campagne Bell cause pour la cause inaugurée en 2011, par exemple. Les campagnes de sensibilisation, les témoignages personnels et les progrès dans le domaine de la recherche contribuent à démystifier les troubles de santé mentale et à briser les tabous qui les entourent. Cette prise de conscience accrue continue d’être une étape importante vers la réduction de la stigmatisation et de la discrimination envers les personnes vivant avec ces troubles.

Le revers de la médaille

Cependant, ces avancées positives entraînent une certaine dérive vers une banalisation de certains diagnostics de santé mentale. Des expressions sont maintenant utilisées de manière informelle pour décrire des comportements ou des traits de personnalité sans lien direct avec les diagnostics cliniques correspondants. Par exemple, « avoir un TOC » parce qu’on a certaines habitudes bien ancrées ou « être bipolaire » parce qu’on vit une émotion forte soudaine. Cette tendance à utiliser des termes médicaux de manière légère et désinvolte peut contribuer à minimiser la gravité des troubles de santé mentale et à renforcer les stéréotypes qui y sont associés. Les personnes vivant avec ces diagnostics vivent généralement de grandes souffrances de par leurs symptômes. De s’en approprier certains de manière banale, c’est démontrer qu’on ne comprend pas réellement le vécu et les obstacles de ces personnes. 

La signification des mots

Il est toutefois important de reconnaître que le langage est complexe et évolutif, et que les mots peuvent avoir plusieurs significations en fonction du contexte. Par exemple, certaines personnes utilisent le terme « bipolaire » dans un sens non médical pour décrire quelque chose qui oscille entre deux extrêmes n’est pas nécessairement offensante ou stigmatisante en soi. 

Le mot « bipolarité » a différentes définitions, dont un sens scientifique qui n’a pas de lien direct avec la psychiatrie. Tout dépend du contexte de nos propos. Par exemple, on peut dire que la Terre est bipolaire, que les batteries sont bipolaires, on peut parler de bipolarité boursière, etc. 

Alors, comment pouvons-nous naviguer dans ce paysage linguistique complexe tout en respectant les expériences des personnes vivant avec des troubles de santé mentale et en favorisant une communication inclusive en milieu professionnel? 

La santé mentale en milieu de travail

Tout d’abord, les entreprises peuvent organiser des sessions de sensibilisation et de formations sur la santé mentale en milieu de travail. Ces sessions peuvent inclure des informations sur différents troubles de santé mentale, les signes et symptômes associés, ainsi que des conseils sur la façon de soutenir les collègues qui pourraient être concerné·es. En fournissant aux employé·es une meilleure compréhension de la réalité des troubles de santé mentale, on peut réduire la stigmatisation et encourager des conversations plus respectueuses et empathiques.

Par la suite, il est possible de mettre en place des politiques et des lignes directrices sur l’utilisation du langage en milieu de travail. Cela peut inclure des conseils sur la manière de communiquer de manière respectueuse et inclusive avec les collègues qui vivent avec des troubles de santé mentale. 

Les entreprises peuvent également fournir des ressources et des services de soutien en santé mentale à leurs employé·es. Cela inclut un accès à des programmes d’aide aux employé·es, des services de counseling ou des initiatives de bien-être psychologique. 

Finalement, les gestionnaires jouent un rôle essentiel dans la promotion d’une culture de travail inclusive et respectueuse en matière de santé mentale. En montrant l’exemple et en encourageant des conversations ouvertes sur la thématique, la direction peut contribuer à créer un environnement où les employé·es se sentent en sécurité pour partager leurs expériences et leurs préoccupations. 

Et donc, est-ce que ça se dit?

En conclusion, la question de savoir si l’on peut utiliser des diagnostics de santé mentale comme adjectifs et expressions dans le cadre professionnel nécessite une approche nuancée.

Il faut d’abord reconnaître que bien que la discussion accrue sur la santé mentale ait contribué à une meilleure compréhension et acceptation de ces troubles, elle a également créé un environnement où les termes cliniques sont parfois utilisés de manière inappropriée ou insensible. 

Par contre, comme nous l’avons vu, le langage étant fluide et les mots pouvant avoir plusieurs significations en fonction du contexte et de leurs définitions, il existe parfois des exceptions. 

De manière générale, on vous suggère d’utiliser d’autres synonymes ou termes plus précis que ceux des diagnostics de santé mentale. La langue française est riche, précise et on peut certainement trouver des alternatives qui ne causeront pas de tort à autrui!

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